Par Maël Goarzin
A la suite de François-Ronan Dubois et de Caroline Muller qui, sur leurs carnets de recherche respectifs, Contagions et Acquis de conscience, ont précisé leur programme de l’année à suivre, j’aimerais moi aussi présenter mon programme de travail, illustré par les aventures de Tintin en thèse, écrites par @Fantaroux. En ce début d’année académique, après un été plus ou moins reposant, car plutôt studieux, j’aimerais préciser dans ce billet ce qu’un thésard peut bien faire de son temps. Non seulement parce que cet exercice est utile pour poser sur le papier ce qui est plus ou moins clairement planifié, mais aussi parce que cela montre, à ceux qui se poseraient la question, à quoi correspond une année de thèse: que fait-on, concrètement, lorsqu’on est en thèse ?
Pour commencer, il faut préciser que pendant le premier semestre de cette année 2013-2014, je ne serai pas assistant à la section de philosophie de l’Université de Lausanne, contrairement à l’an dernier. Je n’aurai donc pas de charge d’enseignement ni d’assistanat, et pourrai, je l’espère, consacrer d’autant plus de temps à mon travail de thèse. J’en profite pour aller suivre des cours à Paris, notamment à l’École Pratique des Hautes Études, où je suis inscrit en co-tutelle de thèse. Il faudra donc distinguer, dans mon programme, le premier semestre, passé à Paris, du second, lorsque je serai de retour à Lausanne, et sur lequel je reviendrai au début du semestre prochain.
Ceci étant posé, voici en quelques points en quoi devrait consister ma troisième année de doctorat :
Se former
On n’en a jamais fini d’apprendre. Et si le doctorant commence à donner des cours, il n’est pas inutile de continuer à se former. Cela peut se faire à travers la lecture, bien sûr, mais aussi à travers la participation à des colloques et, même en doctorat, par la participation à des cours. Pour moi, le premier semestre sera l’occasion de suivre 4 ou 5 cours à l’École Pratique des Hautes Études, à Paris, notamment pour approfondir ma connaissance de certains courants de pensée philosophiques et religieux de l’Antiquité Tardive : gnosticisme et manichéisme, christianisme, et néoplatonisme. Je profiterai probablement de mon passage à Paris pour découvrir également la mystique musulmane… Tout un programme donc !
Avancer la thèse: mes deux axes de recherche principaux
Il ne faut pas oublier tout de même que j’ai une thèse à rédiger, et encore beaucoup de travail avant d’y arriver.
Je me suis fixé deux objectifs, ou plutôt deux axes de recherche principaux :
1) Pour bien lire les vies de saints et de philosophes, et y découvrir les conseils pratiques que je recherche, il me faut tout d’abord étudier les différents genres littéraires utilisés dans l’Antiquité Tardive pour faire connaître la vie des philosophes et des personnages religieux importants : le genre biographique et hagiographique, l’art rhétorique de l’éloge, ou encore la documentation épigraphique et le genre de l’apophtegme. Découvrir les différents procédés littéraires et rhétoriques employés pour faire part de la vie d’un homme me permettra de mieux lire les textes de mon corpus et d’identifier plus aisément les conseils pratiques qui s’y trouvent.
2) De même, pour bien comprendre l’importance et le rapport de ces conseils pratiques pour bien vivre au quotidien avec la doctrine philosophique ou religieuse des courants de pensée de l’Antiquité Tardive, une bonne connaissance des doctrines éthiques de ces différents courants est nécessaire. Si mes connaissances de l’éthique des philosophies antiques sont déjà bonnes (notamment en ce qui concerne le néoplatonisme, le stoïcisme ou l’épicurisme), mes connaissances de l’éthique chrétienne, juive et gnostique sont à approfondir.
Lire – écrire
Concrètement, pour travailler sur ces deux axes de recherches principaux, qui mèneront sans nul doute à beaucoup d’autres questions et pistes de réflexion, il va falloir lire, beaucoup, et écrire, autant que possible ! Lire et écrire sont les deux activités phares du doctorant. Pour moi, ce sera la lecture des textes sources tout d’abord, à savoir les différents textes de l’Antiquité Tardive dans lesquels on trouve, d’une manière ou d’une autre, le récit de la vie d’un philosophe ou d’un saint, mais aussi les textes plus théoriques dans lesquels sont explicités les doctrines éthiques des différents courants de pensée de l’Antiquité. Cependant, pour ne pas rester seul face au texte source, je dois également lire un certain nombre d’article et d’ouvrages de littérature secondaire, invalidant ou confirmant, selon les cas, ma propre lecture des textes sources. Tout le travail, ensuite, est de trouver sa place, tant bien que mal, entre les textes sources et la littérature secondaire… et ce n’est pas toujours facile !
Le doctorant lit beaucoup, mais ne doit pas non plus oublier d’écrire. Car à la fin du doctorat, il faut rendre une thèse, et elle ne s’écrira pas toute seule! Le mieux est de commencer très tôt, le plus tôt possible, quitte à ne pas utiliser la moitié (voire beaucoup moins) de ce que l’on a déjà écrit lors de la phase de rédaction finale. Alors cela peut être écrire un chapitre de thèse, mais aussi synthétiser des notes de lecture, commenter un passage précis d’un texte qui semble important, etc. En ce qui me concerne, je travaille par axes de recherche, chaque axe correspondant plus ou moins à un chapitre de thèse. A la fin d’une période de travail sur un axe de recherche, je synthétise mes lectures et mes prises de note, synthèse qui pourra former la base d’un futur chapitre.
Mais dans la vie du doctorant, il n’y a pas que la rédaction de la thèse. Pour faire connaître ses recherches et recevoir de manière souvent très constructive le feedback de ses collègues chercheurs, le doctorant peut répondre aux appels à contribution et participer à des colloques, écrire des compte-rendus ou rédiger des articles.
Rédiger des articles
Le mois de septembre a commencé par la rédaction d’un article rédigé pour les Actes d’un colloque auquel j’ai participé l’an passé à l’Université de Lausanne (“Posture, ethos et figures d’auteurs de l’Antiquité à nos jours”) : « Pourquoi raconter la vie de Moïse et de Pythagore ? La fonction d’exemplum dans les biographies de l’Antiquité Tardive ». Ecrire une communication n’est que la première étape d’un processus d’écriture qui demande de nombreuses relectures et bien souvent une restructuration importante du texte lu en conférence.
Pour fin novembre, je dois également rédiger un article pour les Actes du colloque Tradition and transformation : Dissent and consent in the Mediterranean. Ma communication portait sur le genre biographique comme faisant autorité en termes d’éthique pratique, et je commence déjà à y travailler sérieusement. L’écriture d’un article se fait par couches successives qui permettent, progressivement, de réduire le contenu au strict nécessaire, la contrainte du nombre de mots étant la plus difficile à respecter!
Participer à des colloques
Outre les colloques auxquels j’ai prévu d’assister (pour les mois de septembre et octobre, par exemple, je participe à trois colloques, ici, là et encore là), je ferai une communication au mois de novembre pour un colloque sur « Les mises en scènes de l’autorité dans l’Antiquité Tardive » à Lyon. J’y ferai part des résultats de mon premier axe de recherche, à savoir les différents genres littéraires utilisés dans l’Antiquité Tardive pour faire le récit de la vie d’un personnage illustre et lesquels, parmi ceux-ci, permettent de véhiculer un certain mode de vie. Le colloque a lieu du 21 au 23 novembre à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. Je n’ai pas d’autres communications de prévues pour le moment, ce qui me permettra de me focaliser davantage sur mes recherches, mais cela ne m’empêche pas de regarder attentivement les différents appels à communication et à contribution.
Répondre à des appels à communication et à contribution
Il y en a tous les jours, par dizaines, mais il faut savoir bien les choisir. Avec quels critères ? Peut-être celui de ne pas trop dévier de son sujet de thèse, afin que l’effort fourni pour rédiger un article ou pondre une communication lors d’un colloque soit également utile à l’avancée de la thèse. Pour le moment, peu d’appels ont retenu mon attention, si ce n’est celui-ci : « Biographie et exemplarité : une vie pour l’exemple ? », qui aura lieu à Angers les 27 et 28 mars 2014, et dont le délai pour soumettre une proposition est le 10 novembre. Pour une excellente analyse de l’intérêt de lire les dizaines d’appels à communication et à contribution qui sont publiés chaque mois, je vous conseille de lire le billet de François-Ronan Dubois, qui s’inscrit tout à fait dans ma propre démarche, notamment en ce qui concerne la diffusion, sur ce carnet de recherche, des différents appels à communication liés au domaine de recherche qui m’intéresse.
Écrire des compte-rendus
C’est un nouveau type d’écriture que je n’ai jamais encore réalisé dans l’optique d’une publication (si ce n’est sur ce carnet de recherche, la catégorie de billets Compte-rendus en étant la preuve), même si j’ai déjà écrit pour mon propre compte certains compte-rendu d’ouvrages ou d’articles en rapport avec ma thèse. Mon objectif cette année est d’en écrire au moins un, et plus si l’expérience me plaît! De nouveau, un excellent billet pour comprendre le pourquoi et le comment de l’écriture d’un compte-rendu se trouve sur le carnet de recherche Contagions.
A côté de la thèse et du monde strictement académique…
A côté du travail de thèse proprement dit, il y a les cours, bien sûr, en tant qu’assistant diplômé à l’Université de Lausanne. Mais comme je l’ai annoncé plus haut, cette année est un peu particulière, puisque le premier semestre, je serai à Paris. Je reviendrai donc sur ces activités d’enseignement au début du prochain semestre.
Au-delà du travail d’assistanat et du travail de recherche strictement lié à la thèse, je participe actuellement à un projet de vulgarisation dans le cadre de l’association Pro Ethica, think tank en sciences morales basé à Genève, et qui a pour objectif de fournir à la société les outils nécessaires à la réflexion éthique. Pour cela, un de ces projets (le projet Humanoria) a pour but de revenir sur les différentes doctrines éthiques de l’histoire de la philosophie. Dans ce cadre, j’ai travaillé l’année passée et suit en train de finaliser la rédaction d’un dossier sur le stoïcisme qui comprendra un article d’introduction à l’éthique des vertus, un article de présentation générale de l’histoire du stoïcisme et de sa doctrine, un entretien écrit sur l’influence du stoïcisme de l’Antiquité à nos jours, avec Jordi Pia, Maître de conférences à l’Université Sorbonne-Nouvelle (Paris 3) et chercheur associé au Laboratoire d’études sur les monothéismes (LEM). Il y aura également un article sur l’importance des exercices pratiques dans le stoïcisme, ainsi qu’un entretien vidéo sur Pierre Hadot avec Philippe Hoffmann, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études. Enfin, le dossier sera complété par un dialogue final discutant de l’intérêt de l’éthique stoïcienne dans une réflexion éthique contemporaine.
Et puis, finalement, il y a ce carnet de recherche, qui essaye, tant bien que mal, de présenter ne serait-ce que le reflet d’une partie des mes recherches, académiques ou non, pour partager toujours et encore les réflexions qui animent ma recherche et tenter, autant que faire se peut, de donner un aperçu général de la recherche actuelle en éthique antique.
Voilà en quelques paragraphes la vie riche et variée d’un doctorant, dont vous trouverez un autre aperçu donné à la fin de sa première année de thèse par Caroline Muller ! Et vous, la vie de doctorant, ça se passe comment ?
Crédits: @Fantaroux et © Hergé / Moulinsart pour les images.
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