par Catherine Couturier
En ouvrant sa boîte de courriel, un jeune doctorant reçoit une
missive pour le moins flatteuse. Une maison d’édition en ligne a repéré
son mémoire et désire le publier. Gratuitement. Occasion en or, ou
piège?
Chaque année, des milliers de diplômés à travers le monde sont
sollicités par une des 24 filiales du consortium allemand VDM : Éditions
universitaires européennes (EUE), Presses académiques francophones
(PAF), Lambert academic publishing (LAP), etc. Ces maisons d’édition
utilisent le système d’impression sur demande : l’auteur n’a rien à
débourser, mais doit assurer la mise en page de son document. La maison
d’édition affiche ensuite l’ouvrage en ligne.
Un livre gratuit ?
« Pour les gens qui veulent un exemplaire de leur thèse reliée
gratuite et qui n’ont pas les moyens de publier à compte d’auteur, c’est
peut-être une bonne voie », explique Tara Macdonald, étudiante à
l’Université d’Ottawa (qui n’a pas publié son mémoire avec une de ces
maisons d’édition). Or, selon des informations récentes, les étudiants
recevraient maintenant gratuitement non pas un exemplaire papier, mais
électronique.
Des redevances pour l’auteur
La plupart de ces maisons d’édition proposent également des
redevances de 12 pour cent sur les ventes. « C’est assez courant comme
redevance, dit Ysolde Gendreau, professeure à la Faculté de droit de
l’Université de Montréal, et spécialiste du droit d’auteur, mais leur
calcul est plutôt alambiqué. » En effet, selon le contrat de VDM,
l’auteur ne récolte finalement que cinq à six pour cent du prix de vente
du livre après certaines déductions.
De plus, VDM ne remet aucune redevance si le montant de celles-ci
n’atteint pas 10 euros par mois. Si un livre permet de récolter à son
auteur des redevances entre 10 et 50 euros par mois, ce dernier recevra
un coupon d’achat. L’Université catholique d’Australie a calculé qu’un
diplômé devrait vendre environ 11 livres par mois pour atteindre plus de
50 euros en redevances, qui seraient ensuite déposées dans un compte
bancaire (si l’étudiant ne fournit pas de coordonnées bancaires,
l’éditeur ne versera pas les redevances).
Un plus grand accès ?
La possibilité de voir afficher sa thèse sur des sites populaires
attire également les étudiants. « Mon mémoire de maîtrise aurait
seulement été affiché sur Proquest, mais maintenant, il se retrouve sur
plusieurs sites, et Google devrait le trouver plus facilement »,
explique une étudiante de l’Université Concordia qui a publié chez VDM.
Malheureusement, avec des milliers de nouveaux titres chaque mois, la
thèse risque de se noyer dans le flot de publications. Nous avons ainsi
pu recenser sur Amazon près de 120 000 titres publiés depuis environ
quatre ans seulement par les filiales les plus actives au Canada (soit
VDM, LAP, ÉUÉ et la récente PAF).
La bibliothécaire de l’INRS-UCS, Marie-Ève Dugas, acquiesce : « Quel
genre de visibilité et d’accessibilité ça donne, d’être sur Amazon?
Déjà, la thèse est accessible en ligne gratuitement sur les sites Web
des universités. » De plus, le prix de vente (en moyenne 100 $) devient
un sérieux frein à l’accessibilité.
Un avantage pour le CV ?
Dans un monde universitaire de plus en plus concurrentiel, il
devient aussi tentant de publier rapidement pour ensuite ajouter la
publication à son CV. Philip Cercone, directeur général aux Presses
universitaires McGill-Queen’s, met toutefois en garde les étudiants qui
seraient tentés d’emprunter cette voie : « Ces publications ne sont pas
revues par les pairs, et ne font l’objet d’aucun travail d’édition. Les
comités de sélection dans les universités ne leur accorderont aucune
crédibilité ».
Mme Gendreau de l’U de M renchérit : « C’est leurrer les étudiants
que de leur faire croire que ce genre de publication donne une valeur
ajoutée à leur travail. »
Les éditeurs en ligne se basent sur le cautionnement de l’université
pour justifier le fait qu’ils n’effectuent pas de travail d’édition. «
Mais le fait que l’ouvrage soit de provenance universitaire ne veut rien
dire en terme de qualité », rappelle Mme Gendreau.
Et vos droits ?
L’auteur qui fait affaire avec ces maisons d’édition en ligne
peut, selon son contrat, republier certaines parties de sa thèse (sous
forme d’articles, par exemple). Or, la plupart des maisons d’éditions «
traditionnelles » n’accepteront pas de publier un ouvrage dont ils n’ont
pas l’exclusivité, ou une thèse sans une certaine réécriture, rappelle
M. Cercone. De plus, l’étudiant concède le droit de duplication et de
dissémination exclusif à l’éditeur, et ce, partout dans le monde, et
dans toutes les langues. Les éditeurs pourraient donc en toute légalité
utiliser des extraits de thèse pour des compilations, ou stocker la
thèse sur des bases de données.
M. Cercone appelle donc à la prudence : « Les étudiants devraient
faire attention lorsqu’ils cèdent des droits d’auteur; après, il est
impossible de revenir en arrière. »
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