La fraude scientifique est plus répandue qu’on le croit
En science aussi, la fraude existe. Au regard de certaines réactions outrées qui ont suivi la publication de mon billet sur la validité des études scientifiques,
d'aucuns m'accusant de jeter le discrédit sur la recherche parce que
j'évoquais quelques inconduites, il me semble utile de faire un point
sur ce phénomène, certes marginal mais bien réel. Je profite pour cela
d'une belle coïncidence car, dans leur livraison du 1er octobre, les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS, qui sont les comptes-rendus hebdomadaires de l'Académie des sciences américaine) publient une étude qui éclaire le sujet d'un jour nouveau mais, hélas, pas très reluisant.
Les auteurs de cet article,
Ferric Fang, Grant Steen et Arturo Casadevall, ont travaillé sur la
base de données PubMed qui regroupe quelque 25 millions d'études –
essentiellement dans le domaine de la recherche biologique et médicale
–, dont les plus anciennes remontent aux années 1940. En décembre 2010, à l'occasion d'une étude parue dans le Journal of Medical Ethics, Grant
Steen avait déjà exploré la période 2000-2010 de cette base de données
en s'intéressant tout particulièrement aux rétractations, c'est-à-dire
aux articles que l'on retire de la publication et dont on demande aux
chercheurs de ne plus tenir compte. Deux causes principales motivent une
rétractation. La première est une erreur involontaire, où la bonne foi
des chercheurs n'est pas remise en cause : problème expérimental,
mauvaise interprétation des résultats, etc. La seconde est une violation
délibérée des bonnes pratiques et de la déontologie. Du véniel au très
grave, on trouve l'auto-plagiat (c'est-à-dire la mauvaise habitude que
prennent certains chercheurs de multiplier les articles à partir d'une
seule expérience, de façon à faire grimper leur nombre de publications),
le plagiat d'une autre équipe et, enfin, la fraude.
Par fraude, on entend une
manipulation voire une invention des résultats. Parmi les exemples de
ces dernières années, citons ceux qui sont probablement les deux plus
célèbres. Tout d'abord, l'étude dirigée par le Britannique Andrew
Wakefield montrant, à partir d'une douzaine de cas, un lien entre le
vaccin ROR (rougeole-oreillons-rubéole) et un autisme doublé d'un
problème intestinal. L'enquête a non seulement montré que ce lien avait été fabriqué
de toutes pièces par Wakefield, à l'insu des co-auteurs, mais que le
médecin avait également fait subir aux enfants qu'il suivait pour son
étude des examens pénibles sans aucune raison. Le "tricheur" menait en
fait (et mène toujours même s'il a été interdit d'exercer) une croisade
anti-vaccin et, malgré la rétractation, les résultats de cette
pseudo-étude sont restés ancrés dans bien des esprits et ont mené à une
baisse de la vaccination dans certains pays. Le second exemple, lui
aussi très médiatisé, est celui du Sud-Coréen Hwang Woo-suk qui était
devenu une vedette mondiale après avoir annoncé, en 2004 dans Science, le clonage d'un embryon humain
dans le but de produire des cellules souches. Un résultat imaginé,
étayé par de fausses photographies, qui a conduit le chercheur à une
spectaculaire disgrâce.
Dans son étude de 2010,
Grant Steen avait recensé 742 rétractations en dix ans dans la base
PubMed. Grâce aux notices les accompagnant, il avait pu classer les
raisons pour lesquelles ces études étaient retirées du champ de la
science. Quasiment les trois-quarts (73,5 %) l'étaient pour de simples
erreurs tandis que le reste tombait dans la catégorie des fraudes.
L'auteur précisait toutefois que pour 134 des 742 articles, la raison de
la rétractation demeurait ambiguë. L'étude des PNAS publiée le 1er
octobre a, tout en s'ouvrant à une période plus large (1977-mai 2012),
voulu enquêter afin de réduire ces ambiguïtés et ses auteurs ont
consulté de multiples sources d'information pour chacune des 2047 études
retirées au cours des 35 dernières années. En plus des notices de
rétractation, ces sources sont l'Office of Research Integrity
aux Etats-Unis (qui publie un rapport annuel sur les mauvaises
pratiques scientifiques), des articles de presse généraliste ou
spécialisée, ainsi que le blog Retraction Watch,
tenu par les journalistes Adam Marcus et Ivan Oransky, qui est une
référence en la matière et que je recommande à tous ceux qui
s'intéressent à ces questions.
Cette enquête fouillée a
donné des résultats bien différents de ceux de 2010. Sur ces quelque 2
000 rétractations, la fraude constitue la cause principale dans 43,4 %
des cas, le plagiat dans 9,8 % des cas et la duplication de ses propres
travaux dans 14,2 % des cas. Soit un total de 67,4 % de rétractations
pour non-respect de la déontologie. On est bien loin du 26,5 % de 2010 !
Les erreurs involontaires sont invoquées dans 21,3 % des cas, le
restant des rétractations étant soit imputables à des causes peu
claires, soit sans explication du tout, certaines revues ne daignant pas
les justifier.
Même si elle concerne
actuellement moins d'un article scientifique sur 10 000, ce qui est
plutôt rassurant, la fraude scientifique est un phénomène qu'il faut
réévaluer à la hausse (voir les diagrammes ci-dessous). La différence entre les chiffres de 2010 et ceux de 2012 s'explique essentiellement par le modus operandi qu'a suivi l'article des PNAS, lequel
ne s'est pas contenté de la version officielle contenue dans les
notices de rétractation. Après analyse poussée, 15 % des 742
rétractations répertoriées dans l'étude de 2010 sont ainsi passées de la
catégorie "erreur de bonne foi" à la catégorie "tricherie" ! Les
notices sur lesquelles cette étude s'appuyait sont en effet souvent
rédigées par les auteurs des études eux-mêmes et l'on comprend aisément
qu'en cas de mauvaise conduite, ceux-ci trouvent des circonlocutions
trompeuses (ou de beaux mensonges) pour maquiller leur forfait. Une
notice concernant la rétractation d'un article publié en 1989 dans la
revue Biochemical and Biophysical Research Communications fait ainsi état de "résultats
provenant d'expériences qui se sont révélées avoir des failles dans
leur méthodologie et dans l'analyse des données". Très curieusement, l'enquête menée par l'université Harvard a plutôt évoqué "de nombreux exemples de fabrication et de falsification de données"...
Autre point important,
les articles sont souvent retirés avant que les enquêtes les concernant
aient livré leurs conclusions, ce qui permet aux auteurs d'évoquer des
raisons autres qu'une fraude pas encore prouvée. Par ailleurs, certaines
études soupçonnées d'être entachées par des malversations ne sont
jamais retirées. Si l'on met tout bout à bout, on arrive "à la sous-estimation systématique, dans les rétractations, du rôle de l'inconduite et à la sur-estimation du rôle de l'erreur",
estiment Ferric Fang, Grant Steen et Arturo Casadevall, qui plaident
pour que les notices de rétractation soient standardisées, que la
formation des chercheurs insiste davantage sur le respect de l'éthique
et que, côté sanctions, l'on crée un fichier centralisé des fraudeurs.
Comme on le voit sur ces diagrammes,
le nombre de fraudes est en nette hausse depuis quelques années. Une
des explications à cette inflation tient certainement à la surveillance
renforcée qui est aujourd'hui en place, notamment pour les cas de
plagiat ou de duplication d'études, plus facilement repérés grâce à des logiciels d'analyse de texte.
Mais il serait naïf de ne pas chercher également les causes profondes
du phénomène dans la manière dont la recherche elle-même est construite.
Les auteurs de l'étude des PNAS ont par le passé souligné que "l'augmentation
des rétractions et des manquements à l'éthique peut résulter, au moins
en partie, du système de la science au résultat, basé sur la logique
économique de la prime au vainqueur, qui confère au premier des
récompenses disproportionnées, sous la forme de subventions, de postes
et de prix, à une période où le financement de la recherche se
restreint".
Pierre Barthélémy (@PasseurSciences sur Twitter)
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