Directeur de thèse/doctorant : relations d’échanges ou relations de pouvoir ?

Directeur de thèse/doctorant : relations d’échanges ou relations de pouvoir ?

 


Un accord librement conclu sous contrainte





Relations d’échanges




Les relations d’échanges sont les plus visibles et les plus saisissables par leur contenu : informations, données, expériences, découvertes, questionnements, savoirs, conseils, propositions, inquiétudes et émotions. La valeur des uns contribue à établir la valeur des autres [4], le doctorant participe de l’élaboration de la valeur de son directeur et inversement, tout comme le rapport et les membres du jury de thèse ont une importance. Dans une discipline, les réseaux d’interconnaissance sont forts et le nom du directeur de thèse conduit à intégrer le doctorant dans un courant de pensée.

Si certains conseils demandés au directeur semblent habituels, d’autres sont plus inattendus, qu’ils concernent la vie scientifique, le contenu de la thèse, la définition de l’objet de la thèse, l’approche choisie, la culture, les lectures scientifiques, la quantité de travail, le choix des méthodes, le travail de terrain, la détermination de l’échantillon, la rédaction ou encore le plan que l’on pourrait passer sa vie à refaire sans avancer si le directeur n’y met pas un terme.

En parallèle de la thèse, apparaît la nécessité de sa valorisation (publications, colloques, conférences, tables rondes, insertion dans des réseaux de recherche) et les questions économiques, matérielles et professionnelles qui taraudent l’étudiant sans préoccuper chaque directeur. Il faut être conscient que la relation directeur/doctorant est une perpétuelle renégociation.

 


Avoir conscience de sa légitimité et reconnaître celle de l’autre


Sur la base de l’accord conclu, droits et devoirs respectifs supposent une légitimité partagée. Reste la distance marquée par la différence de statut, comme par la différence culturelle. Une absence d’échange ou un déséquilibre dans la communication [5] peuvent la renforcer. Aussi, l’énonciation des contraintes, des règles et des attentes de chacun permet l’émancipation et l’affirmation du doctorant.

Si, dans les faits, l’encadrement des thèses paraît souvent être une activité de second plan pour le directeur, le doctorant gagnerait à se situer dans un entre-deux étudiant/chercheur qui lui permettrait d’être conscient de ses acquis (son expérience, sa confrontation au terrain avérée, des arguments à faire valoir, etc.) tout en restant conscient de son statut d’étudiant. Rencontres et séminaires sont des moments d’apprentissage de l’autre et doivent conduire l’étudiant à faire la part des choses quant aux conseils prodigués. Il est toujours préférable de préparer les rencontres avec l’encadrant, à l’aide de questions précises et de l’envoi préalable de textes. Soulignons qu’injoignable ne veut pas dire occupé, et inversement, d’où la nécessité de tenir compte de la singularité de fonctionnement de chacun. Entretenir une bonne relation avec un directeur suppose que le doctorant accorde du crédit à ses conseils, sans pour autant attendre de lui des certitudes, des réponses à tout, mais bien plus une qualité d’écoute, un intérêt pour la façon dont l’étudiant mène sa recherche, un accompagnement vers la levée de l’autocensure et la reconnaissance des faits inconfortables [6], ainsi qu’un empêchement à se diriger vers les idées faciles [7]. C’est aussi avoir conscience de la limite de son champ de compétences. La lucidité doit permettre au doctorant de rester l’acteur de sa thèse et conscient de ce qui est le mieux pour lui.


Ne pas perdre de vue la soutenance : maintenir la notion de pouvoir à sa juste place


Echange et pouvoir s’immiscent dans cette relation qui est, certes, asymétrique et déférente [8] mais pas à sens unique car chacun en sort un peu plus riche [9]. De par son expérience, le directeur détient un pouvoir sur l’information (bourses, colloques, etc.), mais l’étudiant-chercheur peut également intéresser le directeur en lui apportant aussi de l’information (journée d’étude, article, etc.). Il n’est pas exclu que certains enseignants-chercheurs usent de leur pouvoir illégitimement en retardant le moment de la soutenance, de la lecture, de la relecture. Cependant, comme le précise Sébastien Kapp, si 95% du temps utile du doctorant est consacré à sa thèse, celle-ci ne représente que 5% de celui du directeur. Ce rapport peut donner à l’étudiant le sentiment de ne pas être encadré, guidé ou soutenu. C’est à l’approche de la soutenance que le rapport devrait s’inverser et le directeur se montrer plus pressant, et plus présent, dans l’accompagnement du doctorant.
La composition du jury fait aussi partie des négociations à mener. En France, le plus souvent, c’est le directeur qui prend contact avec les potentiels membres du jury, choisis au préalable par un accord entre le directeur et l’étudiant. Dès lors que l’objet de recherche le permet, le doctorant a tout intérêt à privilégier une interdisciplinarité et un regard critique mettant en scène un échange Paris/Province et différentes écoles. La composition du jury, et surtout le rapport qu’il rédige à l’issue de la soutenance, constituent des enjeux capitaux pour la suite du parcours du doctorant.

Si la soutenance cristallise toutes les tensions (scientifiques, publicité), elle ne doit pas remettre en cause tout le travail effectué, comme lorsque parfois certains membres de jury tentent de repenser entièrement la construction de la thèse. S. Kapp rappelle que la thèse vise habituellement à pousser le doctorant dans ses retranchements afin qu’il affirme ses positions [10] pour être accepté parmi les docteurs.

Pallier les manquements de l’échange


Changer de directeur de thèse ?


Un changement de direction de thèse pourra impliquer un changement du sujet ou de l’orientation de la thèse et il n’est pas simple de retrouver un directeur. Ce qui motive cette volonté ne doit pas faire oublier l’enjeu le plus important : la possibilité de mener la thèse à son terme. Changer de directeur est donc à envisager uniquement lorsque la soutenance est mise en péril car c’est une réelle prise de risque. En cas de grave désaccord, il ne faut pas hésiter à en parler à d’autres chercheurs, à rencontrer le directeur du laboratoire, la direction de la formation doctorale.

Néanmoins, dans certaines circonstances (évolution importante du sujet qui porte le doctorant vers une autre approche, voire un autre terrain, mobilité géographique ou institutionnelle du doctorant, par exemple) ce changement peut aussi très bien se passer. Dans tous les cas, il est fortement déconseillé de changer de directeur de thèse sans avoir l’aval d’un autre directeur pour une nouvelle inscription, au sein de la même institution ou d’une autre, faute de quoi le doctorant peut se retrouver face au vide.

Dans ce cadre, l’idéal reste un accord entre l’ancien directeur, le nouvel encadrant et le doctorant. Il est important que ce dernier préserve sa réputation en agissant avec respect et clarté.


Cotutelle ou codirection de thèse ?


 Si l’écriture de la thèse est le fait de l’étudiant, il ne l’élabore pas seul et est donc encouragé à sortir du « colloque singulier » [11] et à faire lire son travail, ponctuellement, par d’autres personnes que son directeur.

Pour toutes autres démarches visant à inscrire une autre personne dans la direction de sa thèse, il lui est fortement conseillé d’en informer son directeur car impliquer une autre personne se formalise en début de thèse, et le doctorant n’a pas le pouvoir d’une telle imposition.

Si la cotutelle ou la codirection sont souvent d’une grande richesse, elles favorisent parfois des situations difficiles à gérer pour l’étudiant, spécifiquement si les directeurs expriment des attentes différentes. Des relations potentiellement conflictuelles peuvent alors apparaître.


Conclusion


Au cours des échanges s’est révélé le poids que l’institution universitaire fait peser sur les étudiants-chercheurs (légitimité, relationnel) et qui n’est pas toujours bien pris en compte, surtout par les doctorants [12]. Ce poids apparaît dans leur discours et leurs comportements (toutes disciplines et niveaux d’expérience confondus), bien qu’il ne soit pas absent de ceux du directeur, transformant des problématiques collectives en interrogations personnelles [13]. Aussi, la création d’espaces de réflexion collective sous forme de groupes informels, mêlant différents niveaux d’expériences, est une solution envisageable [14].

Pour approfondir, vous pouvez également lire le compte rendu d’une séance de l’année dernière, publié sur le même sujet [15].







[1] Temps limité pour l’inscription et difficulté à trouver un directeur de thèse.




[3] Comme le précise Sébastien Kapp, la charte des thèses de l’EHESS préconise un nombre de cinq doctorants par directeur et par année d’inscription. Si la qualité du suivi dépend surtout du contenu de la relation directeur/doctorant, ce point reste à considérer dans le choix d’un directeur et, au-delà de la thèse, dans la perspective d’une bonne préparation à la soutenance.



[4] Bourdieu, P., Homo Academicus, Editions de Minuit, 1984.



[5] Entre harcèlement et absence de nouvelles durant un temps long.



[6] Weber, M., Le savant et le politique, trad. fr. de Freund J., Plon, 1963.



[7] Berry, M., « Diriger des thèses de terrain », Gérer et Comprendre, Annales des Mines, déc. 2000.



[8] Ferreux, J., De l’écrit universitaire au texte lisible, Teraedre, 2009.



[9] Becker, H. S., Écrire les sciences sociales, Economica, 2004.



[10] En Belgique on dit : « défendre sa thèse ».



[11] Bessin, M.,Intervention au séminaire résumée par Moritz Hunsmann (http://act.hypotheses.org/924)



[12] Comme le souligne Sébastien Kapp et faisant référence à l’un de ses échanges avec Cyril Lemieux. Lemieux, C., 2010b, « L’écriture sociologique » in S. Paugam, dir. L’enquête sociologique, PUF, p. 379-402.




[14] Comme l’expose Sébastien Kapp.



[15] http://act.hypotheses.org/1974
Source :act.hypotheses


No comments:

Post a Comment